Paiement : Les banques européennes lancent leur propre système

Seize grandes banques européennes ont annoncé le 2 juillet 2020 un objectif ambitieux : Proposer aux consommateurs et commerçants une nouvelle solution de paiement 100% européenne, « globale et innovante », qui couvrirait « tous les types de transactions » pour un début de mise en opération en 2022. Depuis, plusieurs actions visant la concrétisation de l’initiative européenne de paiement (EPI) ont été lancées : l’EPI Interim Company a été créée et sera chargée de lancer les travaux de mise en œuvre, la BCE a exprimé son soutien et 15 autres banques européennes et 2 acquéreurs non-bancaires ont rejoint l’initiative.

L’EPI c’est quoi ?

L’ambition d’EPI est de créer une solution de paiement paneuropéenne unifiée et innovante pour les consommateurs et les commerçants à travers l’Europe, incluant un schéma de paiement par carte, un portefeuille numérique (wallet) et des paiements peer-to-peer (P2P). L’EPI apportera une interface client et une couche technique intermédiaire et reposera sur diverses infrastructures existantes de compensation et de règlements capables de fonctionner avec le virement instantané. Cette solution vise à devenir une nouvelle norme de paiement capable de concurrencer les solutions et systèmes de paiement internationaux existants en harmonisant le traitement en Europe des cas d’usage de paiement actuels et futurs.
Pourquoi une telle initiative ?
Des facteurs économiques et politiques sont à l’origine de ce lancement.

  • Reprise de la souveraineté européenne : Face au leadership américain (VISA, Mastercard) et Chinois (AliPay, WeChat) sur les paiements, l’EPI permettra d’atteindre la taille critique nécessaire pour concurrencer les géants du secteur et reprendre le contrôle sur les données liées aux paiements et aux transactions par carte bancaire.
  • Finalisation de l’harmonisation européenne : l’EPI s’inscrit dans la continuité du déploiement de l’espace unique des paiements en euros (SEPA) initié il y a une dizaine d’années et des initiatives lancées pour harmoniser les paiements en Europe (EAPS, projet Monnet, …).
  • Limiter l’hégémonie des leaders VISA & Mastercard : Les leaders des scheme de paiement ont progressivement augmenté leurs honoraires profitant de leur position dominante et de leur fort pouvoir de négociation. De plus, des mouvements stratégiques sont à l’œuvre pour devenir aussi intournables dans les relations entre les banques et les startups qu’ils le sont entre les banques et commerçants. Preuve en est l’acquisition par VISA de la fintech suédoise Tink, un des leaders du marché de l’open banking pour 1,8 milliard d’euros.
  • Contrer la menace des géants technologiques : Les banques voient d’un mauvais œil l’incursion des GAFA dans les paiements. Bénéficiant de leur capacité d’innovation élevée, ils sont en train de révolutionner les usages notamment sur le mobile avec Apple Pay et Google Pay. Le croisement éventuel des données personnelles et des données de paiement pourrait leur donner un avantage concurrentiel difficile à rattraper par les banques.

Quels facteurs de succès ?
Les banques doivent répondre à plusieurs enjeux pour garantir la réussite du projet EPI.

  • Inscrire l’EPI dans le quotidien : Se substituer à Visa et Mastercard dans le quotidien nécessite une adoption et une utilisation de l’EPI par les commerçants et les consommateurs européens. Ainsi, l’EPI doit proposer à minima ce qui existe sur le marché, se différencier par des fonctionnalités innovantes et devenir une marque forte et reconnue au travers d’une campagne marketing de lancement et de pénétration.
  • Assurer une rentabilité : Les gains réalisés par les banques en réduisant l’utilisation des scheme de Visa et Mastercard ne seront pas suffisants pour compenser à court terme les lourds investissements à réaliser. Une évolution du modèle économique est nécessaire à travers une exploration de nouvelles poches de revenus via les nouveaux cas d’usages et une réduction des coûts via les économies d’échelle possibles grâce à une concentration au niveau européen.
  • Garantir une entente entre les établissements bancaires concernés : Le projet, qui doit garantir aux clients un parcours homogène au niveau européen, est porté par des acteurs privés concurrents et issus de pays hétérogènes. La gouvernance du projet devra faciliter l’entente et les synergies entre les acteurs pour permettre la mutualisation de certaines opérations et en garantir l’homogénéité.

Si l’EPI devrait permettre aux banques européennes d’offrir à leurs clients de nouveaux services innovants qui répondent aux nouveaux usages, VISA et Mastercard resteront indispensables grâce à leur force de frappe internationale. Le futur réseau de paiement européen aura plutôt vocation à remplacer les réseaux de cartes nationaux tels que CB en France. De plus, l’adoption de l’EPI prendra nécessairement des années ce qui devrait laisser le temps aux GAFA pour habituer les utilisateurs à leurs services.

Pour nous contacter :
Frédéric Offner, Associé – frederic.offner@newadvise.fr
Karim El Quasri, Directeur – karim.elquasri@newadvise.fr

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