La protection sociale complémentaire des fonctionnaires : décryptages et prospective

L’ordonnance du 17 février 2021 relative à la protection sociale complémentaire au sein de la fonction publique est incomplète : elle devra être précisée par des décrets attendus dans les mois à venir. A date, elle laisse encore de nombreuses dimensions incertaines et des options ouvertes.

Un des points clés figurant dans le texte de l’ordonnance : dans chacun des 3 versants, l’employeur devra obligatoirement participer au financement de la couverture santé à hauteur de 50% d’un panier de soins minimum, au plus tard au 1er janvier 2026. Cette participation est conditionnée par l’adhésion de l’agent à un contrat individuel ou collectif (solidaire, responsable et garantissant la mise en œuvre des transferts de solidarité) sélectionné par l’employeur suite à un appel d’offres.

Un cadre a priori donc suffisamment « ouvert » pour que le schéma cible donne satisfaction aux agents, à leur employeur et aux organismes complémentaires. Néanmoins, les situations sont très différentes pour chacun des 3 versants et méritent d’être spécifiées et détaillées.

NewAdvise vous propose une analyse régulière des différents scénarios envisageables et de leur probabilité de réalisation dans une série d’articles à venir sur le dernier quadrimestre 2021.

La PSC de la fonction publique de l’Etat : tout doit changer pour que rien ne change ? [1]

Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux scénarios envisageables pour la fonction publique de l’Etat. Ce versant est très différent des versants territorial et hospitalier, et c’est probablement celui pour lequel la réforme présente le plus d’enjeux, à double titre :

  • La structure de l’emploi : 16 employeurs pour près de 2,5 millions d’agents actifs (vs. plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’employeurs pour la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale) ;
  • La concentration des marchés santé et prévoyance, tenus historiquement par un très faible nombre d’acteurs, voire un acteur très largement majoritaire (exemples : MGEN pour le ministère de l’Education Nationale, Unéo pour le ministère des Armées).

De fortes différences structurelles en matière d’emploi. La FPE se distingue par un très faible nombre d’employeurs (16) au regard des effectifs actifs et retraités (5 millions)

L’analyse de l’ordonnance fait ressortir 3 macro-scénarios (avec 3 variantes selon que les garanties santé et prévoyance sont couplées ou non).

Le scénario le plus probable est celui de contrats individuels à adhésion facultative, similaire au schéma actuel.

Pourquoi les scénarios 3 et 3 bis sont-ils peu envisageables au sein de la FPE ?

L’ordonnance du 17 février fait apparaître la possibilité de mettre en place un contrat collectif, le cas échéant à adhésion obligatoire pour les agents, en cas d’accord majoritaire des partenaires sociaux. Le ministère de la transformation et de la fonction publiques considère que ce type de contrat, à l’image de ce qui a été fait dans le secteur privé avec l’ANI, est le plus protecteur pour les agents.

Au vu du faible nombre d’employeurs (16) et de la concentration du marché auprès de quelques acteurs voire d’un acteur historique, un tel scénario pose la question de la survie des mutuelles historiques si elles ne remportaient pas l’appel d’offres. Elles se retrouveraient dépossédées des agents actifs et ne conserveraient dans leurs portefeuilles que des adhérents retraités, avec une hausse immédiate des cotisations de ces derniers résultant de la démutualisation entre actifs et retraités. La MGEN, acteur historique sur le champ de l’Education Nationale, a fait remarquer à juste titre par la voix de son ancien Président Roland Berthilier qu’il n’était pas possible de comparer la fonction publique de l’Etat au secteur privé : « Quand vous perdez l’appel d’offres d’une entreprise, vous en gagnez un autre. Si vous perdez un marché de 1,2 million de personnes, vous ne pouvez pas le retrouver ailleurs. Cela n’existe pas » affirmait-il lors d’une conférence de presse[2] en juillet 2021.

Les syndicats en viendraient-ils à « pousser » un tel scénario ? Peu probable, même si l’on n’est pas à l’abri d’une surprise.

La mise en place d’un contrat collectif à adhésion facultative (scénarios 2 et 2 bis), sur le modèle de ce qui existe pour la Territoriale avec la Convention de Participation, pourrait être envisagé, mais il pose la même menace structurelle : pour bénéficier de la participation employeur qui devient désormais significative (50%), les actifs devront nécessairement quitter leur mutuelle historique pour adhérer au nouveau contrat, même s’ils n’en ont pas l’obligation. Dans les faits, on pourrait observer des transferts en masse vers les opérateurs cibles avec les mêmes conséquences que pour le scénario 3. Cette menace pourrait être atténuée en cas de mise en place de plusieurs contrats collectifs auxquels les agents pourraient adhérer. Mais les ministères se lanceront-ils dans des mises en place de contrats multiples, avec toutes les difficultés opérationnelles qu’elles impliquent (interlocution avec des opérateurs multiples, démultiplication des paramétrages notamment de flux comme la DSN, etc.).

Le scénario le plus probable (scénario 1 ou variante 1 bis) reste donc proche de ce qui existe aujourd’hui, à savoir une adhésion individuelle facultative, fortement encouragée par la participation de l’employeur. Si ce scénario est le plus à même d’assurer la pérennité des acteurs historiques, il donnera néanmoins lieu à de vastes chantiers de transformation, notamment en matière d’offre (socle et surcomplémentaires en options), de gestion et de relation client. Il faudra notamment transférer les adhérents « un par un » vers les futurs contrats, en orchestrant résiliations et nouvelles adhésions.

Le couplage santé-prévoyance devrait perdurer, même si la participation de l’employeur pour la prévoyance n’est pas rendue obligatoire par l’ordonnance. Ce couplage des garanties permet d’assurer une couverture prévoyance à un socle large d’agents en relai du régime statutaire, et un découplage donnerait inexorablement lieu à un recul de la couverture et à un renchérissement des garanties du fait d’une moindre mutualisation.

Il est fortement probable que l’ensemble des ministères de la fonction publique de l’Etat adoptent le même scénario au titre de l’égalité de traitement entre les fonctionnaires de l’Etat. D’ailleurs, des négociations ont lieu actuellement entre les syndicats de la fonction publique de l’Etat et la Direction Générale de l’Administration de la Fonction Publique (DGAFP), et devraient aboutir d’ici fin novembre. Elles doivent permettre de préciser plusieurs points, en particulier le contenu et la portée des futurs contrats (mécanismes de solidarité, conditions d’accès des retraités aux contrats proposés, les paniers de soins minimum, le couplage éventuel entre les garanties santé et prévoyance, etc.). Ces négociations aboutiront à la publication du décret d’ici février 2022.

Prochain épisode : analyse des enjeux et des scénarios sur le versant hospitalier

NewAdvise propose aux acteurs de la protection sociale de décrypter dès à présent les environnements interne et externe pour instruire et identifier les impacts des différents scénarios :

Revue stratégique des marchés : spécificités de la protection sociale au sein de la fonction publique

Analyse interne : portefeuille d’adhérents, équilibre financier, …

Instruction des scénarios pour chacun des 3 versants de la fonction publique et analyse d’impacts en matière d’offre, distribution, relation adhérents, gestion, SI, et en matière économique.

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[1] Célèbre citation extraite du roman Le guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, paru en 1958 [2] Les Echos, 20 juillet 2021

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Frédéric Offner, Associé – frederic.offner@newadvise.fr
Karim El Quasri, Directeur – karim.elquasri@newadvise.fr

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