La généralisation massive et urgente du télétravail, en raison de la crise sanitaire, pour maintenir la continuité de l’activité, a bouleversé les codes de l’entreprise. En effet, ce mode de travail ne peut se résumer seulement à l’exécution des tâches du salarié hors des locaux de l’employeur. La période actuelle et le retour d’expérience acquis depuis plusieurs mois nous démontrent que le télétravail requiert un réel engagement de l’entreprise et de toutes les parties prenantes. La mise en place du télétravail et son bon fonctionnement doivent être préalablement clairement définis et construits dans l’intérêt de tous pour saisir réellement les opportunités de transformation vers un modèle d’entreprise durable, responsable et inclusif.
La crise sanitaire a imposé le télétravail à grande échelle.
L’ordonnance dite « Macron » en vigueur depuis le 24 septembre 2017 a assoupli le régime juridique du télétravail notamment à l’aide d’accords collectifs dans un objectif de développer le recours à ce mode d’organisation du travail. Malgré ces dispositions, l’utilisation a été freinée par les réticences des entreprises et parfois même des salariés. Mais, l’urgence de la crise sanitaire a accéléré la mise en place massive du télétravail en passant de l’exception à la règle, dictée par le protocole sanitaire en entreprise. Ce contexte spécifique permet aujourd’hui d’avoir un retour d’expérience rapide et significatif.
Les effets du télétravail sur l’activité des entreprises et sur les salariés
En première appréciation, il apparait évident que le déport de l’activité des salariés à leur domicile permet de supprimer les temps de transport et ainsi de diminuer le stress et la fatigue accumulés tout au long de la semaine. De ce fait, il est aisé de considérer un impact positif sur l’absentéisme des collaborateurs et un meilleur équilibre vie privée et vie professionnelle ; l’organisation de la journée de façon plus souple est alors possible. L’entreprise quant à elle peut légitimement, non seulement imaginer dans la durée réduire la surface des locaux donc diminuer les charges fixes parfois très significatives, mais aussi et surtout, gagner en productivité par une approche tayloriste du travail où les échanges interpersonnels spontanés et informels disparaissent.
En seconde approche, l’analyse du télétravail à grande échelle conduit à des résultats bien plus nuancés. L’observation de la récente période montre d’ailleurs un retour au travail significatif sur site après le premier confinement puisque seulement 12% des salariés étaient en télétravail en septembre 2020.
D’une part, un ensemble d’entreprise a demandé le retour de l’activité en présentiel au regard des effets induits constatés : par exemple, le ralentissement du processus d’acquisition de compétences par la pratique partagée, le moindre niveau d’information en raison de la diminution des interactions, l’atomisation du collectif.
D’autre part, les salariés eux-mêmes ont mis en exergue les inégalités de traitement, l’inconfort en lien avec l’espace de chacun au sein du foyer, la détresse psychologique due à la baisse d’interactions humaines et physiques, l’impuissance et le manque de soutien ressentis par le mangement intermédiaire.
L’analyse montre ainsi que le télétravail ne peut se résumer à un sujet de lieu, de temps, de productivité, de confiance ou de contrôle. Si la technologie est quasiment mature pour converser à plusieurs, partager et synchroniser des tâches ou encore interagir et mener des réflexions de façon coordonnée à distance, la créativité et l’innovation trouvent leur source dans le partage et l’échange mais aussi dans le contact à l’autre et plus généralement dans l’expression des cinq sens de l’individu. Pas facile derrière une caméra ou un smartphone !
Le télétravail, est-il l’avenir du travail ?
Oui, il y a un avenir prometteur au télétravail à condition de ne pas le penser comme une fin en soi, et de vivre l’entreprise en synergie avec ses collaborateurs dans une vision sociétale et inclusive, ou tout le monde doit pouvoir y trouver sa place et son équilibre. Un télétravail porteur de valeur trouve sa source dans la définition de l’intérêt partagé, du juste équilibre entre proximité physique et activités délocalisées, et la prise en compte des modes de fonctionnement de chacun et du système de valeurs de l’entreprise.
Parce que le télétravail ne se réduit pas à « travailler à distance », il doit ainsi s’inscrire dans une démarche de transformation d’entreprise englobant toutes les parties prenantes, de la Direction Générale aux employés en passant par le management intermédiaire. Pour ce faire, il est nécessaire de définir les contours, les interactions, les modalités, les objectifs, les déclinaisons et les dispositifs d’amélioration continue.
Le passage au télétravail raisonné, à multiples facettes, sera un succès pour tous à condition d’en faire un levier stratégique au service d’un développement rentable et responsable, et de penser une construction par chantier intégrant aussi bien la dimension sociale, sociétale, technologique qu’organisationnelle et managériale. De ce fait, le télétravail sous certaines conditions peut réellement impulser une nouvelle dynamique porteuse de sens pour les entreprises et les salariés.